Beyrouth/Beirut/بيروت

Archéo-chorégraphie à Zico House (Beyrouth / Liban)

Champ de fouille urbain, en bord de mer, figure d’un nouveau territoire à dévisager, exploration et enracinement à Beyrouth chez Zico qui nous a si gentiment ouvert ses portes ! Nos histoires inventées, nos installations éphémères, notre exposition reconstituée et les strates des corps dansants.

Tout est là jeté en même temps sous nos yeux, mélangé, imbriqué.

Et puis le retour, déjà.

En images…

 

Le retour à la maison avec l’agréable surprise de lire l’article très sensible de Mona Fayad dans le quotidien Annahar sur le travail du collectif présenté en clôture de notre semaine de recherche (en lien ICI).

(traduction française ci-dessous)

La pluie s’était à peine arrêtée lorsque nous sommes arrivés à l’entrée de Zico House, venant de l’exposition « Nations de la documentation » de la maison de Beyrouth qui a été reconstruite pour rester dans notre mémoire comme un signe de notre guerre qui ne veut pas partir.

Nous avons attendu que l’humidité pénètre nos os à la mi-avril, devant une barrière de bandes en plastique, un rideau de plastique transparent doux qui vous attire au toucher. Soudain, le rideau se lève et un personnage est apparu, comme dans les films d’horreur, qui bouge difficilement ; une personne atteinte de paralysie cérébrale vient avec nous. On le suit avec surprise, on s’arrête et on va où il veut.

Le hasard est peut-être mieux que les rendez-vous, et j’ai bien fait d’accompagner Mustafa à Zico House pour que je puisse recevoir un plaisir pur et surprenant. Le groupe qui s’est rendu à Beyrouth propose une sorte d’art nouveau appelé « archéo-chorégraphie », qui combine chorégraphie, théâtre, installation et récit. Une expérience pour mon esprit et mon âme que j’ai bue et qui m’a presque laissé des impressions corporelles pendant des heures.

Le collectif Anima Fact, composé d’un groupe d’artistes du théâtre multi-disciplinaire, s’est rendu à Beyrouth. Il y a passé une semaine. Ils se sont rendus dans différents quartiers, ont marché dans les rues, et ont interviewé des gens. Ils ont rassemblé leurs impressions afin de produire un travail d’art visuel adapté à l’esprit de la ville.

C’est donc un voyage artistique sur le terrain, qui explore le sol, pour développer un champ de recherche, une sorte d’exploration archéologique des monuments. Il y a un rituel de masara qui produit une œuvre combinant fiction et réalité.

La méthodologie de travail de ce groupe adopte de multiples langages techniques grâce auxquels ils perturbent les frontières, lèvent les barrières et manipulent les structures spécialisées afin que les pratiques du théâtre, de la musique, du visuel et de la marionnette se croisent.

Tous sont réunis dans un travail d’art commun et dynamique, mais en respectant la sensibilité et l’intimité de chacun dans le groupe. Ils s’appuient sur une méthode de recherche multiple et leur référence, pour la réalisation de leurs travaux artistiques, est le modèle de la prospection archéologique.

Les membres de l’équipe nous ont suivi d’étage en étage, d’une pièce à l’autre. Ils nous ont donné l’illusion de leurs pas tout en n’ayant pas le contrôle de leur équilibre. Le corps bouge chacun de ses muscles pour qu’il puisse se faire lui-même. Mais dès que vous découvrez qu’ils bougent ainsi leur corps, vous comprenez qu’ils font preuve d’une incroyable capacité à le contrôler et à bouger les muscles les plus petits jusqu’au bout des doigts, d’une manière aqueuse comme dans le théâtre de marionnettes.

Le collectif a interrogé différentes zones de la ville, répertorié leurs scènes et leurs fouilles, et les a dispersées dans tout le domaine de Zico House : sur le sol et les murs des chambres, en utilisant tous les meubles, les tapis, les vêtements, les livres et les miroirs, en plus de ce qu’ils ont pris de leurs fouilles. On trouve des objets de toutes sortes, des résidus de métal aux petites pierres, des traces fossilisées, des vêtements, des cartes et des livres (y compris une adresse pour la Palestine), des restes de jouets, une chaussure d’enfant ou des morceaux d’objets abandonnés, peut-être une pièce de métal rouillé, un outil, une peau de banane, des coquillages, et divers objets que vous pourriez rencontrer dans une ville pleine de déchets.

Tout cela s’accompagne de divers clips musicaux, de mots, de voix et de bruit comme dans la rue. Des textes qui sont lus ou élaborés à partir des restes d’objets sont destinés à donner des idées sur des thèmes, des sentiments, des personnalités et des croyances. Leurs mouvements expressifs forment différentes situations de corps et d’âme, de douleur, de séparation, de tristesse, de colère, d’amour, de tendresse, de silence, de mort et de Renaissance. Parce qu’il s’agit d’un projet protéiforme qui change de forme de façon permanente, il se transforme avec beaucoup de diversité, comme un enfant lorsqu’il joue le rôle de l’adulte et devient médecin, enseignant, oiseau ou arbre.

Je me suis demandé, devant leurs mouvements aqueux qui vous donnent l’impression que ce sont les mêmes mouvements des personnes qui luttent pour exprimer ce qui se passe dans leur esprit : C’est comme ça qu’ils nous voient ? Comme des handicapés incapables de sortir de notre vie ?

Mais des caresses de douceur et de tendresse accompagnent tout cela avec vitalité et chaleur, et vous trouvez le Salut possible, même s’ils ont terminé leur présentation en mentionnant 2006 et en attendant à l’aéroport.

La philosophie de leur groupe travaille sur le corps et l’expression en silence, avec des gestes destinés à montrer l’incapacité de contrôler notre vie et la difficulté d’exister. Mais celui qui peut le faire est celui qui contrôle chaque muscle de son corps pour le déplacer si merveilleusement qu’on ressent presque la douleur causée par les pliures (entorses) qu’il exécute.

La discussion avec eux après la fin du spectacle a été intéressante et riche. Nous avons échangé des idées et des expériences en partageant nos préoccupations sur le travail, sur le corps, les prisonniers et autres. Mon cadeau a été de choisir entre deux peintures (des cercles réalisés en carton recouvert d’une couche de fines fleurs) sur l’un était écrit Beyrouth en français, sur l’autre Liban en français. Les deux se lisent de la même façon quand on tourne l’image.

Beyrouth trouve donc celui qui extrait ses trésors et l’aime plus que ses propres parents. L’exemple est pour ceux que je considère.

Mona Fayad, article dans Annahar (avril 2019)